Quantcast
Channel: Next - Flux Complet
Viewing all articles
Browse latest Browse all 3593

J’ai testé l’arnaque à la micro tâche (spoiler : je ne suis pas devenu millionnaire)

$
0
0
Get rich (or die tryin')
J’ai testé l’arnaque à la micro tâche (spoiler : je ne suis pas devenu millionnaire)

Face à la recrudescence des invitations visant à déclencher des arnaques à l’emploi, ou arnaques à la micro-tâche, nous avons décidé de jouer quelque temps le jeu des pirates afin d’expliquer plus en détail le processus et, pourquoi pas, en apprendre un peu plus sur les méthodes sous-jacentes.

Une notification parmi tant d’autres… celle-ci me signale que je viens d’être ajouté à un groupe Telegram au nom pas particulièrement évocateur : NM123. Utilisant assez peu la messagerie de Pavel Durov, je me doute que l’invitation dissimule quelque chose de louche, mais, soit, allons voir.

L’entête du groupe m’indique que nous sommes 200. Arrive très vite un message d’accueil, signé d’une certaine Lola, et quelques questions relatives à la création du groupe. Lola, notre hôtesse du jour, nous rassure très vite : le groupe a été créé par une société de marketing, Pepper Gmbh, chez qui elle occupe un poste de responsable des ressources humaines. Et si elle nous a invités dans ce groupe, c’est qu’elle pense que nous sommes tous éminemment sympathiques. Nous méritons donc de ce fait de profiter d’une opportunité qui n’est pas donnée à tout le monde : gagner de l’argent en ne faisant pas grand-chose…

À ce stade, la plupart des internautes avertis ont déjà flairé l’arnaque. La proposition pourrait être qualifiée de « trop belle pour être vraie », et les 200 comptes ajoutés d’un coup laissent subodorer une forme de pêche au chalut qu’on connait bien dans le monde cyber. Qu’il s’agisse de phishing, de spam à la nigériane ou désormais d’arnaque à la micro-tâche, le principe est de ratisser très large, pour dénicher quelques victimes potentielles parmi la foule des utilisateurs piochés au hasard. Et pour ce faire, les auteurs de l’arnaque déploient une technique particulièrement bien rodée…

10 euros pour un avis Google : la carotte

Revenons donc à notre proposition d’emploi. L’agence Pepper Gmbh (notez le Gmbh, qui en Allemagne signifie « société à responsabilité limitée », indéniable gage de sérieux) explique qu’elle travaille en partenariat avec Google Merchant pour aider les restaurateurs à promouvoir leur établissement. Une recherche Google confirme qu’il existe plusieurs sociétés baptisées Pepper en France ou en Allemagne, et Google dispose bien d’un Merchant Center qui réunit les outils dédiés à la promotion des activités e-commerce. Si je ne m’arrête pas au fait que la seule agence précisément baptisée Pepper Gmbh évolue dans le monde de la mobilité électrique, on peut dire que tout va bien.

« Notre entreprise s’associe à Google Merchant pour aider les hôteliers et restaurateurs à promouvoir leur établissement. Nous les aidons à accroître leur visibilité, à booster leurs ventes et à améliorer leurs notes grâce à des avis positifs. Vous pouvez également générer des revenus en donnant quelques minutes de votre temps », nous résume donc l’aimable Lola.

Très vite, les questions fusent : comment avez-vous eu mon numéro, est-ce une arnaque, faut-il faire un dépôt d’argent préalable ? Lola répond gentiment à toutes les questions, quelques utilisateurs manifestent leur envie d’essayer, et très vite la phase suivante s’enclenche : il est temps de devenir riche. Lola soumet un lien Google Maps et demande à tous les participants de noter l’établissement 5 étoiles. Elle promet en échange un paiement immédiat de 10 euros !

Argent facile ?

Pour le recevoir, il suffit, en gage de bonne foi, publier dans le canal une capture d’écran de la note. « Ce métier me rend curieux », commente Laura Durand Davies. Très vite, les premières captures d’écran arrivent, et je décide de me joindre au mouvement, même si je n’ai jamais fréquenté le lunch grill de Magny-Cours. Bien évidemment, je prévois de supprimer ma note plus tard et c’est l’occasion de rappeler que ce genre de pratique est illégale et contraire aux règles de Google.

Une fois la capture d’écran postée en public, il faut la renvoyer en privé à Lola. En réponse, cette dernière nous redirige vers un autre compte, Olivia, qui sera maintenant notre « réceptionniste » et qui, promis, va nous verser très vite nos 10 euros.

Je présente donc mes hommages à Olivia, dont la photo de profil montre une femme aux cheveux longs en train de boire un spritz dans un décor qui ressemble à Venise. Après avoir elle aussi sollicité ma capture d’écran, elle me demande un numéro de téléphone et me suggère de lui envoyer mon RIB, l’adresse de mon compte PayPal ou celle d’un portefeuille en cryptomonnaies.

La partie entre dans une phase plus délicate : je veux bien jouer, mais hors de question de laisser mon RIB ou mon adresse mail filer entre des mains malintentionnées. Il est en revanche facile, et rapide, de créer un portefeuille crypto, en sachant que mon interlocutrice ne me propose ni du bitcoin, ni de l’ether : le paiement se fera en USDT (un actif dont la valeur est théoriquement indexée sur le dollar des États-Unis), dans sa version adossée à la blockchain TRON (TRC-20).

Dont acte. Je fais mine de pas avoir vu la demande relative au numéro de téléphone et quelques minutes plus tard, j’envoie à Olivia l’adresse d’un portefeuille compatible USDT TRC-20. « OK, l’argent sera crédité sur votre compte sous 5 à 20 minutes. Veuillez patienter. Dès réception de votre récompense, veuillez m’envoyer une capture d’écran du reçu afin que nous puissions passer à l’étape suivante », me répond Olivia.

Lola aussi veut voir la preuve de mon virement reçu. Surtout, elle veut que je la partage avec le groupe

Et quelques instants plus tard… je reçois bien un virement de 10 USDT. Ils représentent en réalité moins de 10 euros vu la faiblesse du dollar ces jours-ci, mais il me semble malvenu de pinailler. « Félicitations pour avoir reçu votre salaire », m’encourage Olivia quand je lui partage la confirmation de paiement, avant de m’inviter à « entrer dans notre groupe de travail d’entrée de gamme ». J’ai hâte !

Dans ce nouveau groupe, bizarrement intitulé « C992🇫🇷Libération », nous ne sommes plus que onze, dont trois profils d’apparence identique, au nom d’un certain JS Grisolia. Une recherche Google sur ce nom me renvoie vers un article scientifique publié en 1996 aux États-Unis et relatif aux implants mammaires, ce que je ne sais pas trop comment interpréter.

JS douche mes ardeurs, je dois attendre demain pour continuer à travailler

Motivé par mes (quasi) 10 euros fraichement gagnés, je me tiens prêt à repartir à l’assaut des fiches Google de restaurateur, mais JS Grisolia douche mes ardeurs : il n’y a qu’un volume limité de commandes à effectuer par jour, et il faudra attendre le lendemain, à 13h20 précises, pour recommencer à « travailler ».

Le lendemain, mes 7 voisins et moi sommes prêts bien avant l’heure dite. A 13h20, JS nous explique que la mission du jour comprend quatre tâches distinctes, rémunérées individuellement, à effectuer toutes les dix minutes, et nous fait miroiter un bonus de 20 euros si nous allons au bout du processus. Les trois premières tâches reprennent le procédé de la veille : un lien Google Maps est transmis, je laisse cinq étoiles, j’envoie une capture d’écran dans le groupe et à ma réceptionniste pour valider, Olivia m’annonce la rémunération associée.

Je ne suis pas sûr de bien suivre ces histoires de bonus, mais ça a l’air lucratif

Le piège se referme

La quatrième tâche se présente sous un jour légèrement différent… cette fois, on me demande de « faire une commande » chez un marchand, et on me promet que je serai remboursé du montant de cette commande majoré de 20 % quelques minutes plus tard. J’ai alors la possibilité de choisir entre différents paliers, mis en avant via un visuel inspiré de Qui veut gagner des millions.

Les choses sérieuses commencent : il faut payer pour espérer un gain

Laisser quelques avis fantôme (que je pourrai effacer) sur Google, pourquoi pas, mais engager mon propre argent pour une mission qui, quand même, présente quelques aspects un peu louches ? Si mon cœur balance, il n’en est rien pour mes voisins de groupe : tous sautent allègrement dans le train, et choisissent l’un des paliers proposés, qui vont tout de même de 60 à 480 euros. Quelques-uns jouent la prudence et engagent 90 euros.

Très vite, les captures d’écran arrivent dans le canal. D’abord, des virements sortants, puis des virements entrants, sur des comptes bancaires ou des portefeuilles crypto, avec les sommes majorées. Une certaine Élisabeth, qui n’a pourtant pas respecté le déroulé des consignes, publie sa propre capture d’écran : un visuel de l’application mobile du Crédit Agricole qui montre, en date du jour, un virement sortant de 480 euros immédiatement suivi d’un virement entrant de 611 euros.

Comment douter dans ce contexte ? Prudent, j’annonce dans le groupe que je me lance sur le premier palier, et ma réceptionniste Olivia s’assure en privé que j’ai bien compris les enjeux. « Êtes-vous prêt à accomplir cette mission de payer 60 € et de gagner 107 € ? ». Cette rémunération, qui intègre les trois notes déjà laissées, le système de bonus et donc cette commission de 20% sur l’argent que j’avance, commence à paraître séduisante…

Je l’interroge tout de même sur un point qui m’intrigue : toutes les captures d’écran que j’ai vu passer montrent des virements faits ou passés au nom de particuliers, alors qu’on parlait au départ d’un achat destiné à booster la visibilité d’un marchand ?

« Il s’agit du compte financier du commerçant.
La tâche 4 est principalement une tâche de rachat par le vendeur, dont l’objectif est d’aider les vendeurs à augmenter leurs ventes de produits, obtenant ainsi des commissions plus élevées et gagnant des récompenses généreuses.
Le vendeur vous demande de réaliser un achat réel. Une fois l’achat finalisé, il vous rachètera le produit à un prix plus élevé.
 »

Je ne suis pas sûr d’avoir bien compris, mais soit. Puisque j’ai commencé en crypto, je demande à continuer en crypto. Olivia me transmet dans la foulée deux adresses de portefeuilles à créditer en USDT, l’un sur la blockchain TRON, comme tout à l’heure, et l’autre sur la blockchain Ethereum.

Fin de partie

À ce stade, les différentes captures d’écran partagées par mes « co-travailleurs » commencent à dessiner une logique de paiements croisés qui rappellent les belles heures du marketing de réseau, ou « multi-level marketing » avec la perspective d’une gradation des sommes mises en jeu, jusqu’à un bouquet final qui ne peut que se révéler décevant.

Les captures d’écran montrent que les échanges de fonds se font entre des particuliers dont les noms laissent augurer un large panel de langues et d’origines géographiques. Ces visuels qui ont circulé sur mon groupe de discussion ne montrent aucun signe de modification a posteriori, alors que les opérations qu’ils montrent sont datées du jour. Impossible d’être catégorique, mais si ces captures semblent authentiques, leur fraîcheur signifie qu’il existe probablement de nombreux autres groupes dans lesquels, comme moi, des internautes lambdas se voient proposer un investissement grassement rémunéré.

La mécanique est probablement encore plus retorse. La capture d’écran d’Élisabeth comporte des éléments qui me permettent de recouper son profil avec celui d’une personne réelle. Or la personne qui signe Élisabeth dans mon groupe et affirme avoir reçu un virement prometteur de 611 euros, fait une grossière faute d’orthographe dans son propre nom de famille. Une faute qui en modifie de façon substantielle la prononciation. La véritable Élisabeth l’aurait-elle commise ? C’est peu probable.

Le témoignage d’Elisabeth fait envie…

Difficile d’être catégorique, mais plusieurs des sept profils Telegram présents dans mon groupe présentent des points communs récurrents (un identifiant de compte sous la forme d’une suite aléatoire de cinq lettres et trois chiffres par exemple). Plusieurs d’entre eux s’expriment également d’une façon peu conventionnelle. « Il n’y a pas d’argent, et la tâche est accomplie en empruntant de l’argent. Nous voulons être payés, mais nous devons le faire », lance par exemple à brûle-pourpoint l’une de mes collègues. En scrutant tous les profils à la loupe, je finis par me demander si je ne suis pas la seule victime potentielle au sein de mon groupe, entourée de pseudo compagnons de route chargés de me rassurer et surtout d’alimenter ma soif d’argent facile.

L’appât du gain

« Aujourd’hui, c’est mon sixième jour de travail, et comme j’utilise toujours des options différentes, mes revenus varient aussi. J’ai gagné environ 2000 € au total », s’exclame par exemple Élisabeth.

Les indices sont nombreux. Ils concordent. Mais jusqu’où peut-on jouer avant de se faire avoir ? Si les captures d’écran que j’ai vues sont légitimes, elles signifient que certains internautes sont effectivement rémunérés pour au moins une transaction, si ce n’est deux, ou trois ?

Même si l’on soupçonne une arnaque, il peut ainsi être tentant de payer pour voir, comme on dit au poker, et beaucoup sans doute tentent le coup. Après tout, 60 ou 90 euros, c’est une somme, mais ça n’est pas non plus la mort du petit cheval…

Dans mon cas, hors de question d’aller plus loin : les finances de Next n’ont pas besoin que j’essaie de faire passer une arnaque manifeste en note de frais, et surtout, je refuse l’idée que mon propre virement puisse être utilisé pour encourager une autre victime à, elle aussi, passer à la caisse.

Follow the money

Cela dit, j’aimerais tout de même en savoir un peu plus et mes voisins de groupe Telegram ne me répondent plus. D’ailleurs, le groupe est mort : comme tout le monde, sauf moi, a accompli sa mission, les échanges sont désormais censés se poursuivre dans un autre groupe auquel on ne m’a pas convié.


Il reste 34% de l'article à découvrir.
Vous devez être abonné•e pour lire la suite de cet article.
Déjà abonné•e ? Générez une clé RSS dans votre profil.


Viewing all articles
Browse latest Browse all 3593

Trending Articles